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Modifier sa conscience au quotidien
Article paru dans Alternative Santé –hors série n°33 –nov. 2005)
Entretien avec LIU DONG, Médecin chinois
Dans le Qi Gong, quelle est la part de travail sur la musculature et sur la conscience
Liu Dong
: Le Qi Gong n’est pas une gymnastique, c’est une philosophie de vie.
La gymnastique utilise des mouvements pour renforcer la musculature. Elle n’a pas besoin de préparation. Dans les clubs de fitness, il suffit de mettre de la musique et de crier «un, deux, un, deux....». C’est un travail plus orienté « vers l’extérieur »,
qui privilégie notre apparence. En revanche, nous essayons de changer notre façon de penser pour
pratiquer le Qi Gong. Dans la Chine ancienne, tous ces exercices étaient divisés en trois groupes. Ils étaient
appelés « Dao Yin » pour les exercices énergétiques à base de mouvement, « Tu Na » pour l’émission vocale de sons correspondant à diverses zones du corps, « Chen Xiang » pour la méditation.
En quoi les buts du Qi Gong et du Taïchi Chuan différent-ils ?
-
Liu Dong - Les buts du Taïchi Chuan sont ceux d’un art martial. Ils relèvent de la compétition. Il s’agit de gagner. Il s’agit de montrer que l’on est le plus fort. Si l’on persévère toutefois dans la pratique des arts martiaux, on découvre qu’il manque quelque chose. Lorsque le maître devient âgé, il comprend que le but n’est pas de gagner quelque chose, mais
d’éveiller quelque chose. La vie n’est pas que concurrence. C’est pourquoi les personnes
qui pratiquent longtemps les arts martiaux le font de façon plus réfléchie, de plus en plus méditative. Elles réalisent que la bienveillance et l’harmonie avec leur environnement sont plus importantes. Dans la vie quotidienne, nos pensées sont tournées vers l’extérieur et ses mille sollicitations. Le Qi Gong prépare le mental en changeant notre façon de penser. Une séance commence par une posture maintenue immobile en
position debout, quinze minutes environ, pour trouver le calme. On reste ainsi sans
laisser sa pensée se tourner vers l’extérieur. Nous disons qu’il faut « fermer les trois portes » avant de pratiquer : les yeux, les oreilles (ne rien écouter) et la bouche (éviter
de parler).
A trop regarder, on perd l’esprit « Shen », et on développe la fatigue mentale. Car trop de couleurs et d’images suscitent trop de désirs. A trop écouter, on perd « Jing », le
principe vital concentré ou énergie du Rein. C’est pourquoi nous ne passons pas de musique en pratiquant. A trop entendre de sons ou de phrases, les émotions montent et
l’esprit les suit. A trop parler, on perd le « Qi », l’énergie qui circule. Elle doit être
distribuée et ne l’est plus.
Vos cours sont construits à partir de ces principes ?
Liu Dong -
Oui. Trois éléments interviennent tour à tour. Pendant les quinze minutes où on se prépare en « fermant les portes »; si l’on continue à penser à son travail et à sa famille pendant les exercices, on ne parvient pas à faire cette coupure avant l’extérieur. Or, elle permet d’harmoniser le coeur, c’est-à-dire l’esprit, afin qu’il soit prêt pour la pratique. Puis l’on harmonise le souffle en développant une respiration profonde et fine. Enfin, on utilise le mouvement ou la voix pour harmoniser l’énergie.
Agir sur l’esprit est au coeur du Qi Gong pour la santé...
Les aspects psychologiques jouent un grand rôle dans le développement de toute maladie, qu’ils la causent ou l’accompagnent. Face à cette réalité, la pratique du Qi Gong permet d’accéder à « l’esprit de la Terre ». La Terre a trois fonctions.
- Accepter : elle
reçoit les papiers et les déchets qu’on lui jette sans rouspéter.
- Transformer
: elle
convertit les matières, y compris les métaux.
- Faire repousser : elle favorise en son sein
la croissance des végétaux et nourrit les nouvelles générations.
Retrouver l’esprit de la terre résume l’attitude psychologique que développent la
médecine traditionnelle chinoise et le Qi Gong pour la santé. Lorsqu’une personne est malade, la médecine chinoise suggère d’abord de faire une retraite méditative. Il faut
accepter la maladie avant de la transformer et nourrir sa santé. Il ne s’agit pas de refuser tout médicament mais de trouver un temps pour accepter et transformer.
Aujourd’hui, le malade court partout sans vraiment écouter ou approfondir une solution.
Il consulte deux médecins, un chaman, un homéopathe et un magnétiseur... S’il privilégie
ce temps de retraite ou de méditation, il trouvera le thérapeute qui lui convient lorsqu’il sera prêt. C’est pourquoi nous disons qu’il faut soigner le patient d’abord, la maladie ensuite. Même les Européens ayant des maladies graves peuvent développer cette stabilité.
Quels sont les buts de la pratique du Qi Gong pour la santé ?
Liu Dong -
Ils ont variables selon les personnes. Le Qi Gong favorise la liberté de chacun. Certains développeront leur force physique, espérant mieux pratiquer un art martial. D’autres souhaitent venir à bout de certains troubles, ou vivre au mieux ave
c une maladie grave, tout en la soignant. D’autres encore veulent répondre à une souffrance existentielle ou
trouver une pratique de développement personnel. Je n’ai pas à donner d’orientation. Quand on pratique, on renforce l’énergie du corps et la stabilité psychique, cela favorise
l’éveil. Lorsque l’éveil se produit, la personne trouvera une solution. Je peux juste lui indiquer des exercices qui l’aideront à parvenir à cet état de calme et stable.
Aujourd’hui, bien des personnes sont agitées, troublées,
elles peinent à comprendre comment leur corps et leur esprit fonctionnent, malheureusement parce qu’elles ont trop
de désirs. Le Qi Gong peut les aider à instaurer un état d’apaisement.
Comment savoir que l’on développe cet état de conscience ?
Liu Dong - Ce calme, on l’expérimente soi-même. Il est difficile d’en parler. C’est une expérience personnelle.
Se manifeste-t-il par une diminution du flot des pensées par l’absence de pensée ?
Liu Dong - Le moins de pensées possible! C’est un état différent de celui de la vie ordinaire. Souvent dans la journée, vous avez plusieurs pensées en même temps. Il est courant de
conduire une voiture tout en parlant. Il est fréquent de travailler en pensant aux vacances, ou de penser au travail pendant les vacances. La concentration rempla
ce mille pensées par une pensée. Le Qi Gong a pour but d’éviter cette multiplication des distractions et des raisonnements. Le pratiquant restera attentif soit aux sensations pendant un moment, soit à sa respiration...une pensée, c’est la pureté. Deux pensées, ça ne l’est plus. C’est déjà le problème.
L’état de conscience recherché s’apparente à celui des enfants. Quand ils ont faim, ils mangent. Quand ils jouent, ils ne font que jouer. Mais quand nous avons un petit creux,
nous pensons que nous aurions dû nous arrêter plus tôt.... Mais que nous devons terminer quand même ce travail... que nous pourrions faire un repas gastronomique dans tel
restaurant....mais choisir peut-être tel autre... un nourrisson qui a faim boit le lait de sa mère et c’est tout. Il s’agit, pour nous, de retrouver cette pureté de pensée là.
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