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Etant donné - Jean Luc Marion - Grandes lignes - Lectures dirigées

D'après Martin Cagnon
Université de Montréal

Lignes directrices de Etant donné de Jean_Luc Marion

Bien qu'on ne puisse rien présumer de l'itinéraire futur de la pensée de Jean-Lue Marion, force est de reconnaître que Etant donné s'impose d'emblée comme un chef-d'œuvre : la force, l'originalité et la rigueur qui se dégagent de la plupart des analyses phénoménologiques développées dans cet ouvrage - pour ne rien dire de la justesse des incursions historiques qui viennent appuyer ou illustrer ces analyses - nous invitent en effet à ranger Etant donné parmi les « faits d'armes»les plus audacieux et les plus féconds de la philosophie française des vingt dernières années. En 1989, la publication de Réduction et donation, « ouvrage strictement de méthode » (ED, 17), avait déjà suscité dans la communauté philosophique française de vifs débats autour des possibilités et des limites de la phénoménologie. Marion se proposait alors de montrer que la richesse de ce qui est donné varie toujours en fonction de la profondeur de la réduction effectuée : la phénoménologie ne réalise sa possibilité ultime qu'à la condition de reconduire, en deçà des horizons arbitrairement imposés de l'objectité (Husserl) et de l'étantité (Heidegger), à la forme pure de l'appel - seule réduction non « réductrice » parce que coïncidant avec un maximum de phénoménalité, voire avec la phénoménalité elle-même, tant et pour autant qu'il n'est plus aucune décision ni aucun horizon pour compromettre la manifestation de celle-ci en l'assujctissant de l'extérieur à des exigences qui lui sont étrangères. Etant donné vient enrichir sans la détourner la problématique ouverte par Réduction et donation.

Voici en bref les principales lignes de force de cel enriehissernenl qui s'articule sur qualrc thèses qui commandent le développement de l'ouvrage.
  • Ce qui se montre doit d'abord se donner.
    Telle est la thèse qui, de l'aveu de l'auteur, constitue 1'« unique thème » de l'ouvrage. Qu'est-ce donc qui donne au phénomène d'être phénomène et ainsi de se montrer ?
    De quoi le phénomène tire-l-il sa manifestation?
    De ce qu'il se donne, d'abord et avant tout. Qu'il soit toujours possible de concevoir certains phénomènes comme s'exceptant de l'horizon de l'objectité, voire de l'étantité, il n'est cependant aucun phénomène (pas même celui du néant) qui ne puisse s'excepter de l'horizon - si tant est qu'on puisse encore parler ici d'horizon - de la donation, c'est-à-dire de ce qui permet à tout phénomène d'apparaître littéralement comme un pur donné, voire un pur don. La visée ultime de toute réduction phénoménologique rigoureusement effectuée consisterait par consé- quent à reconduire à ce don que tout phénomène constitue du fait de sa dépendance originaire (et tout à fait irréductible) à l'égard du processus de la donation. À qui soupçonnerait que la thèse de l'universalité de la donation puisse ici profiter de l'ambivalence sémantique du ternie même de « donation », Marion répond que cette ambivalence est « un fait (dont l'admission) n'implique nulle exploitation ». Que l'admission non critique de ce « fait » langagier soit légitime ou non, il n'en demeure pas moins qu'elle rend possible une toute nouvelle interprétation du privilège traditionnellement reconnu à l'intuition au sein de la pensée phéno- ménologique. En effet, ce privilège ne vaut qu'en autant que l'intuition demeure donatrice : « que nous importerait une intuition et quelle autorité lui reconnaîtrions-nous,si elle ne nousdonnait rien [...] ?». Mais que ce qui se montre doive d'abord se donner ne semble pas exiger, à l'inverse, que ce qui se donne doive néces- sairement se montrer : « selon notre thèse de fond, la donation n'équivaut pas à l'intuition et ne /'exige pas nécessairement ». On notera cependant une certaine tension dans le discours de Marion entourant la nécessité ou la non-nécessité, pour ce qui se donne, de se montrer. Cette tension apparaît de façon particulièrement frappante lorsque l'auteur s'avise de ce que le concept de donation implique bel et bien (serait-ce d'ailleurs là un don inaperçu de son ambivalence sémantique ?) un « donner à » : de fait « comment la donation pourrait-elle donner un donné, sans le lui [sic] faire voir, donc sans l'adresser à quelque instance comme une " conscience " ? ». Et Marion de conclure, négligeant la nuance introduite plus haut, que non seulement le phénomène peut se montrer, mais qu'il le doit.

  • Ce qui se donne ne dépend que de soi-même pour se donner.
    Si la réduction ne réduit bien qu'à la donation, seul ce qui se donne à partir de soi peut décider de la phénoménalité et de ses modes possibles. Le centre de gravité phénoménologique se déplace : le phénomène n'est plus fonction d'un «je pense », d'un ego, voire d'un Dasein qui décréteraient à l'avance les conditions que ce phénomène doit satisfaire pour obtenir droit de cité en philosophie. Désormais, le phénomène n'est plus fonction que de sa seule automanifestation : plus rien ne décide de son apparition que le « soi » qui lui est propre. Tel est, selon Marion, le dernier principe, que « rien ne précède le phénomène, sinon sa propre apparition à partir de soi »/
    Ce déplacement ne va pas sans entraîner certaines conséquences pour ce qui regarde le statut du sujet phénoménologique : la donation de soi du phénomène implique rigoureusement que la subjectivité se définisse comme donation à soi, c'est-à--dire comme recevant sa détermination et sa situation du déploiement du phénomène lui-même. Ce n'est donc plus le phénomène qui se soumet aux conditions de la subjectivité, mais au contraire la subjectivité qui se plie à la logique apophantique du phénomène. Le « sujet» est moins substrat qu'organe de monstration de ce qui se donne: il n'est ni plus ni moins qu'un « attributaire » dont la situation ne se concrétise qu'en rapport à la charge incidentellc et événementielle qui cararaetérise tout phénomène de droit commun. S'inspirant ici d'un procédé pictural, Marion décrit sous le titre d'anamorphose cette mise en situation de la subjectivité à partir du mode de manifestation du phénomène. Ainsi, pour accéder à la forme d'arrivée du phénomène, la subjectivité doit «renoncer à organiser la visibilité à partir du libre choix ou du site propre d'un spectateur désengagé, pour se la laisser dicter par le phénomène lui-même, en [son] soi»

  • Ce qui se donne donne parfois plus qu'il n'est possible de voir.
    Tel est le cas lorsquela subjectivité ne parvient plus à maintenir dans les limites de ses visées intentionnellesla richesse intuitive de ce qui lui est donné. L'accueil que réserve Marion à l'examen de cette possibilité manifeste on ne peut plus clairement la distance prise à l'égard du « principe des principes » où l'intuition demeure soumise une logique de la pénurie » exigeant que l'iiituition se produise à l'intérieur de l'horizon du connu et qu'elle ne transgresse jamais les ressources constituantes du Je transcendantal. Le « dernier principe » prend donc ici la relève du « principe des principes » afin de légitimer phénoménologiquement la possibilité d'une donation à ce point saturée d'intuition qu'elle « surpasse l'intention » et défie toute anticipation subjective de même que toute prévision théorétique. Reprenant certaines analyses exposées ailleurs (voir «Le phénomène saturé» dans Phénoménologie et théologie, Paris, Criterion, Idées, 1992, [extraits : p. 79-128]), Marion entreprend de dégager les diverses modalités de saturation phénoménale en s'appuyant sur le tableau kantien des catégories. Ainsi, « invisable selon la qualité, insupportable selon la qualité, absolu selon la relation, irregardable selon la modalité », le phénomène saturé montre que l'intuition peut aussi obéir a une logique de l'excédent. Que ce soit sous la guise de l'événement historique, de l'idole, du tableau, de la chair ou de l'icône, le phénomène satiné illustre par excellence les possibilités ultimes de la phénoménologie et soulève par conséquent la question de savoir « jusqu'à quel degré la saturation peut se déployer» tout en restant phénomène. La réponse coïncide avec le phénomène de révélation, lequel ouvre la possibilité d'une saturation extrême, sursaturée dans la mesure où les quatre possibilités de saturation s'y précipitent et se déterminent réciproquement pour «[saturer] la phénoménalité au second degré, par saturation de saturation».

  • Ce qui se donne ne se montre le plus souvent qu'À qui aecepte de recevoir avant de voir.
    La problématique du phénomène saturé libère la possibilité d'un écart limite entre la donation et la monstration. Dès lors que ce qui est donné excède en intuition la visée et le concept, l'impact de la donation se déploie sous la forme d'un appel : la monstration de ce qui est donné repose alors sur une décision de la part de la « subjectivité » de prendre sur soi cet appel, de s'en faire le témoin répondant, l'adonné : « nous ne voyons sans les vouloir que les phénomènes les plus pauvres [...] dès qu'un phénomène s'enrichit en intuition, donc dès que son degré de donation s'accroît, il nous faut [...] le constituer et le supporter pour le voir... ». La possibilité du voir repose donc ici sur l'effectivité d'une décision de recevoir qui peut ne pas se produire. L'excès du don peut par conséquent se donner sous le mode de l'abandonné : plutôt que d'accepter le don, l'adonné décide de se dérober à sa surcharge intuitive. Si Marion montre, de façon assez convaincante, qu'il est de ces « phénomènes » dont la manifestation s'appuie à une décision préalable de la part de l'adonné, on peut cependant douter du succès de ses efforts en vue de préserver la pureté phéno-ménologique de ces descriptions de toute « contamination » au contact de l'éthique.
Ainsi, lorsque l'auteur entreprend d'approfondir la problématique de l'abandon à partir du regard d'autrui et qu'il qualifie de « mépris » le fait de refuser de soutenir ce regard, de le « prendre en vue », sa volonté de soustraire le concept de mépris à toute interprétation éthique le conduit, contre toute attente, à faire du mépris la condition même de la sociabilité dans la mesure où il nous dispense « de voir l'autre homme pour ce qu'il se donne ». Certes que l'anonymat et l'interchangeabilité des « personnes » soient le fait de la quotidienneté banale, que ce titre « l'autre homme » apparaisse d'abord à travers sa fonction d'agent social, économique, etc. n'implique pas nécessairement que celui-ci fasse l'objet de mépris, c'est-à-dire qu'il disparaisse sous cette fonction au point de s'y réduire.
En diluant comme il le fait le concept de mépris, Marion finit bien par le libérer de toute connotation éthique, mais c'est qu'il n'entend rien de plus par « mépris » que cette sociabilité commune et inauthentique que Heidegger a déjà ressaisie sous le mode du On. Je ne ne saurais conclure cette présentation sans signaler le point sans doute le plus névralgique de cet ouvrage. Toutes les démonstrations de Marion découlent d'une prémisse fondamentale : le phénomène se donne. De l'aveu de l'auteur lui-même, il n'est rien de plus embarrassant que le « soi » du phénomène : « Reste à franchir le pas le ])lus périlleux : penser ce se/soi - qui seul permet au phénomène de se montrer » Il resterait surtout à se demander si ce pas peut être franchi de l'intérieur de la phénoménologie. Certes, qu'il faille penser ce soi, la tradition phénoménologique française nous y invite déjà depuis belle lurette : Merleau-Ponty, Lévinas, Henry et Marion à leur suite — nous ont depuis longtemps familiarisés avec ces inversions et ces bouleversements de l'intenlionnalité qu'entraînent les expériences de « phénomènes saturés » et toute expérience analogue où la subjectivité se découvre davantage visée que visante, davantage interrogée qu'interrogeante. Tout se passe alors effectivement comme si un «Autre » prenait de lui-même initiative de se donner, de se montrer. Nul doute que la phénoménologie soit parfaitement légitimée à décrire ce « comme si ». La question est seulement de savoir si les phénoménologues eux-mêmes peuvent s'accommoder de cette « limite » et éviter, conformément à leurs précautions méthodologiques les plus récurrentes, de répondre à un appel autrement plus puissant que celui de l'Etre, de la Vie ou de l'Autre - soit l'appel de la métaphysique elle-même.


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Zhong Yong